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ENTRETIENS de M. Alocco avec…

« Conversation sur autre chose… »

entretien avec George BRECHT et BEN

[ Enregistré à Villefranche-sur-Mer (en avril 1965), cet entretien a été publiée sous le titre « Conversation sur autre chose »  dans Identités n°11-12 (automne 1965) au moment où Fluxus est dans son plus fort temps de création et d’expansion, mais sans échos médiatiques notables. De larges extraits de cette « Conversation » ont été repris plus tard dans Art Press, puis en Italie dans Flash Art, et puis (paradoxalement retraduit en anglais !) dans « Book of the Tumbler on Fire » anthologie de texte de G.Brecht* par Henry Martin et Giano di Maggio Multhipla Edizioni, Milan 1978.

L’entretien, dont ne sont donnés ici que quelques morceaux choisis, a été traduit de l’anglais (E.U) par M. Alocco et Ben (Vautier). Les italiques indiquent les passages parlés en français. Les 14 numéros de Identités (1962-1966) existent en réimpression intégrale, éditions de L’Ormaie, Vence 1998) ]

George Brecht : […] C’est une façon naturelle que j’ai de procéder. Je crois qu’il n’y a rien à accomplir en se comparant.

Ben Vautier : Comment peut-on penser ainsi ! Ce point de vue m’est totalement étranger…

G.B. : Nous pouvons dire, par exemple, que toi tu dis que l’ego est très important ; donc on peut imaginer que tu dis : « Je vais faire ceci parce que ça n’a pas été fait ».

B.V. : Exactement

G.B. : Comment sais-tu que cette chose n’a pas été faite ?

B.V. : Je me réfère à l’Histoire de l’Art.

G.B. :C’est à partir de là que nous sommes différents. Je ne commence pas avec l’art.

B.V. : Pourquoi ?

G.B. : Parce que l’art est déjà limité. Ce n’est qu’une série de possibilités ; moi je suis intéressé par toutes les possibilités.

B.V. : Mais je considère que toutes les possibilités sont aussi de l’art. Pour moi, John Cage a fait que tout soit musique ; Marcel Duchamp que tout soit œuvre d’art ; et je considère que toi, tu rends tout événement art.

G.B. : Pour moi c’est peut-être la même chose. Toi tu dis « tout est art », moi je tends à ne pas penser à l’art. Je vois les choses comme elles sont et ne pense pas à l’art . Nous faisons la même chose.

B.V. : tu déclares que ton but n’est pas la personnalité, ni d’apporter du neuf. Mais tu apportes du neuf, n’est-ce pas ?

G.B. : Pas particulièrement. Tout ce que je fais, c’est de mettre les choses en évidence. Mais elles sont déjà là. […]

Marcel Alocco : Que pensez-vous du Lettrisme ? A-t-il apporté quelque chose ?

G.B. : Vous voulez dire la poésie éclatée ? C’est seulement un autre arrangement.

M.A. : Alors ce n’est pas plus important que… Picasso par exemple ?

G.B. Non. Ni plus ni moins.

M.A : Est-ce qu’un  problème vous préoccupe, sur lequel vous vous arrêtez souvent et que vous ne parvenez pas à résoudre ?

G.B. : (Il réfléchit longuement) Je voudrais faire un film ennuyeux, par exemple. Toutes les choses qui sont impossibles sont intéressantes. […]

B.V. : Je précise : étant donné que je suis malheureux en art parce que je veux être supérieur aux autres, ne penses-tu pas que je serais plus heureux étant à ta place ?

G. B. : Je suppose que tu pourrais l’être, non parce que tu serais supérieur mais parce que tu n’aurais plus ce problème de supériorité, si c’est un problème.

B.V. : Et comment pourrais-je le devenir ?

G.B. : Il me semble que nous partons de points différents. Il serait intéressant pour toi de faire l’expérience de ne plus comparer.

B.V. : Je ne crois pas pouvoir (Rires). Peux-tu me décrire ce que tu prépares pour les éditions Matmot ?

G.B. : C’est une machine universelle pour tout faire. Pour écrire un roman. Pour faire un poème, pour composer de la musique, pour trouvers les objets perdus. On peut l’utiliser comme horloge, comme calendrier. Elle peut donner des mathématiques nouvelles, une pensée nouvelle. Faire un itinéraire pour un voyage… […]

B.V. : Te considères-tu comme un artiste ?

G.B. : Je ne pense jamais à ce que je fais comme étant de l’art ou pas. C’est une activité, c’est tout.

B.V. : As-tu peint des toiles ?

G.B. Parfois. Je ne les ai jamais vendues. Entre 1955 et 1957, j’ai fait des tableaux sur des draps. Je versais de l’encre puis je les étendais. Il s’agissait de recherches sur le hasard. […]

B.V. : Je trouve que l’une de tes caractéristiques est l’événement et l’arrangement d’événements. Par exemple, boire un verre d’eau. Marcel Duchamp expose l’objet. Tu as mis l’accent sur l’usage de l’objet. Est-ce exact ?

G.B. : Avant, dans les galeries, j’ai montré uniquement des chaises ; je prends une chaise, et je la mets simplement dans la galerie. La différence entre une chaise de Duchamp et une de mes chaises pourrait être que la chaise de Duchamp est sur un piédestal tandis que la mienne, il faut s’en  servir. Chez moi c’est explicite. Il est possible de s’asseoir.

B.V. : Quand l’as-tu fait ?

G.B. : Il y a des années. La première fois, je crois, dans une galerie  en 1961, à la galerie Martha Jackson… et avant cela, en 1959 à la galerie Rubin. Il y avait deux chaises et une table et un jeu de cartes de ma composition.[…]

B.V. : Quels sont les gens les plus intéressants que tu connais ?

G.B. : J’ai répondu des gens différents à des temps différents. En ce moment précis, il me semble que Ray Johnson, La Monte Young et Walter de Maria m’intéressent. […]

In Identités n°11/12  (1965)

 

 

  • George Brecht (George Macdiarmid), New York, 27 avril 1925 – Cologne, 5 décembre  2008)

 

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